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@xil 2012.

T'es vivant ?

 

Je me savais différente, j'étais assez fine observatrice pour ça, certains à mon sujet on même parfois parlé de « don » jusqu'à ce que tardivement un banal test mette un nom sur cette différence : « trouble du spectre autistique » Autiste Asperger plus précisément. Quand je l'ai dit à ma mère, elle a laconiquement répondu avec son doux sourire : je sais.

Je m'appliquais à avoir une vie normale.

Je ne parlais pas beaucoup, mais j'écoutais, observais, analysais, comme on mâche un chewing-gum pour tromper la faim. Ca avait le même goût et la même consistance d'ailleurs : caoutchouteux et insipide. Mon regard se cognait aux murs de ce jour sans fin. Toute ma vie j'ai eu l'impression d'évoluer dans une troisième dimension, quelque part entre ailleurs et loin. Cette envie constante de me retourner lorsqu'on s'adresse à moi. Ces agressions, ces exigences que je ne comprend pas. Ni le langage ni les codes ne me sont familiers. J'ai appris les codes comme on apprend une langue étrangère sur le tard...mal et en gardant l'accent...

Ce que j'en comprend, ce que j'en digère, ce que j'en vomis. Par ex de la vulgarité de l'amour en général et de la jalousie en particulier : réduire l'autre à un os qu'on ronge et qu'on enterre, qu'on délaissera ou oubliera sans doute quand il n'aura plus ce goût de chair vivante, saignante. Réduire l'autre à ses propres pensées obscènes et l'en rendre responsable par avance.

L'amour ne peut se donner que librement, à quoi ça sert de l'exiger ? A rien. C'était donc des cultivateurs du rien. Un peu comme ces shadocks qui pompaient et reversaient l'eau à coté inlassablement. Avec de jolis seaux bariolés et tout l'équipement assorti, tout ça pour...rien.

 

Un jour de trop dans cet océan de rien, je me suis levée de table, j'ai tout planté là et je suis partie. Suite à quoi une amie m'a fait cette remarque :

-Toi, t'es toujours en train de te tirer de quelque part.

Elle n'avait pas tort, sauf que c'est de nulle part que je me tire...les no man's land ça me gave.

Plus ou moins rapidement, mais quand même j'ai mes limites, et là y'avait une bonne éternité plus un jour qu'elles avaient été dépassées.

Pourquoi j'étais resté ? Parce que je n'avais plus envie de vivre, alors crever ici ou ailleurs m'était égal. Et puis finalement j'ai décidé que je préférais crever ailleurs. C'est mon droit non ?

Shadock 2eme du nom, mon compagnon d'alors n'a pas apprécié, il a pris ça pour une injure personnelle , c'est susceptible les cultivateurs du rien. Ca s'essuie les pieds sur ton âme , mais faut pas oublier de les remercier pour ça sinon ils se vexent.

J'ai pas remercié.

Et puis y'a toujours ce moment ou on te rappelle que tu es une femme façon maladie honteuse.

C'est pas de bol, j'ai jamais eu honte d'être née femme. Mes parents n'ont pas pensé à immiscer dans ma conscience cet inutile complexe. Sans doute parce que pour eux je n'avais pas moins de valeur qu'un mâle, ni moins de droits, ni moins de devoirs. J'ai mis longtemps à comprendre que ce n'était pas la norme établie. Longtemps, parce qu'on te prêche l'inverse tout en appliquant le contraire, ça embrouille un peu quoi...

Au quotidien ça donne parfois des situations cocasses. Enfin, ça me fait marrer moi, parce que ce genre de mecs qui se sent autorisé à rabaisser une femme juste parce qu’elle est femme, chui pas sure que ça le fasse autant marrer, mais j'men fout, c'est pas ma faute s'ils sont mal éduqués.

 

Et puis il m'est arrivé lui …@xil

de la façon la plus banale qui soit, sur facebook.

 

J'étais occupée à zoner sur internet, en recherche d'inspiration ou plutôt d'oxygène quand je suis tombée sur lui, ou lui sur moi, je sais pas, un genre de collision frontale. Il m'a draguée comme il en draguait probablement des dizaines, y'avait des accents mécaniques qui ne trompent pas, je lui ai dit que j'étais pas dupe, il n'a pas écouté, je n'ai pas insisté pour ne pas le vexer et un peu par curiosité aussi.

- tu me sous estime.

-tu déconne ?

-Non

 

Il me parlait de chez lui en kabylie sans savoir les échos qu'il provoquait en moi, il m'a immédiatement fascinée autant que je m'en méfiait, un genre d'attraction répulsion.

Et comme je n'avais rien de mieux à faire, je l'ai laissé faire.

Il est arrivé à un moment ou j'hésitais entre me flinguer et me flinguer, emprisonnée dans cette hypersensibilité qui faisait de chaque instant de ma vie un cauchemar, j'en avais franchement rien à foutre de savoir si c'était un menteur ou pas, s'il m'aimait ou pas, ce genre de conneries. C'en était plus que probablement un, j'avais fait une recherche sur son pseudo qui n'était pas des plus encourageante, ou il était, entre autre, question de vidéos de filles en larmes et suppliantes après avoir été larguées. Pas le genre à qui on pouvait faire confiance quoi. J'étais dépressive , pas débile malheureusement, sinon j'aurai pas été dépressive hein.

Mais je décidai par ennui que ce n'était pas le cas. De toute façon j'espérais pas, j'attendais rien et cette réalité d'une banalité affligeante me faisait tellement chier que je décidais d'en créer une à ma convenance au moins cette fois.

C'est comme ça qu'il m'a sauvé la vie, me distrayant de mes macabres desseins.

 

Il a dit :

- épouse moi

Et comme je n'avais rien de mieux à faire, j'ai dit :

-Ok

 

Quand il me parlait j'avais un peu l'impression d 'entendre mon double schizophrénique. Mais bon , au point ou j'en étais, j'étais pas à ça près. Là ou je suis vraiment tombée amoureuse c'est quand je l'ai lu, lui et ses artefacts. Il (ils?) écrivait vraiment bien, comme j'aime en tout cas. Avec des mots vivants, des mots qui parlent. Même si je savais instinctivement que quelque chose clochait dans sa façon d'être . J'ai suffisamment eu l'occasion de croiser la route de manipulateurs égocentriques pour les reconnaître à la seconde, ma « différence »les attire comme un pot de miel un ours. J'avais une alarme intégrée pour ce genre là. Mais j'aimais nos discutions , sa présence, sa lucidité, ses mots, moi que presque tout ennuyait, je ne m'ennuyais jamais « près » de lui.

 

Je lui demandais de se raconter il répondait :

-Moi c'est moi, rien du tout, je suis perdu, je suis dans la merde, je suffoque, quoi moi ? Un avortement, qu'est ce qu'il y a à raconter ?

-Laisse tomber

-Je ne laisse pas tomber, si je laisse tomber, je laisse tomber tout, je suis là et je ne suis pas un court circuit, je suis moi et j'exige que tu me considère ainsi, MOI bordel de dieu de merde, MOI, je peux vivre ça, c'est ma vie.

Il se contredisait en permanence, maniait le chaud et le froid avec la régularité d'un métronome …

 

Ou quand il était un peu moins sombre :

-Je suis distrait, il y a toujours quelque chose dans ma tête, il m'arrive même de parler tout seul.

-En même temps, à qui veut tu qu'on parle ?

 

Et moi je l'admirai comme une gamine qui serait tombée par hasard sur un manuscrit oublié de Rimbaud. J' allai même de mieux en mieux. J'étais en train de crever d'empoisonnement distillé jour après jour, saleté après saleté et ce mec sorti de nul part m'a tendu un masque à oxygène.Bon, il était pas beaucoup plus frais que moi, mais il avait l'avantage d'exister et pas trop près ce qui était un atout supplémentaire.

 

 

Et puis un jour j'ai eu la confirmation du coté sordide de l'histoire :

 

J'avais rencontré J par hasard lors d'une sortie, quelque jours à peine avant ma rupture officielle d'avec shadok2. Américain, du genre qui confond égocentrique avec excentrique. Il me cause informatique, je m'intéresse, d'autant plus que shadock2 en état d'ébriété avancée raconte pour la 300 000 ème fois la même blague pourrie. Un éclat de voix me rappelle brusquement à l'abjecte réalité.

Shadock éructe qu'il va bouffer « du rosbeef » avec deux de ses potes accrochés aux basques qui font mine de retenir une colère vengeresse tout en l'encourageant dans sa grotesque machiste attitude de leurs voix avinées. Comme si il était capable de corriger qui que ce soit, mais bon ils ont l'air d'y croire et la farce tourne au tragi-pathétique. C'est que voyez vous messieurs, harangue il la populace, SA gonzesse est pas sensée avoir envie de parler, de penser ou que sais-je, elle est priée de rire au blagues pourries de son seigneur et maître et pas plus. Bon, j'me casse en refilant toutefois mon mail au « rosbeef » attéré, histoire de lui présenter mes excuses ultérieures pour cette agression .

Quelques jours plus tard, sans aucun rapport avec cet incident, je quittais définitivement ma morne existence conjugale. J'ai revu J à trois ou quatre reprises. Sans méfiance autre que celle qui m'est habituelle au début, c'est à dire instinctive, mais amicale. Puis voilà qu'il se met à me débiter des phrases entières de conversations privées que j'ai eu avec @xil. Les reprenant à son compte . Je ne crois pas à ce genre de coïncidences, surtout quand le monsieur est un expert en informatique et en réseaux en France et en Algérie formé dans les meilleures université Américaines . Ca fait un moment que je flaire le truc tordu mais là ça pue carrément de près.

@xil c'est ma bouffée d'air , il ne vaut peut être pas mieux que les autres, mais je le respecte et … je l'aime. Comme il est, comme ça, pour rien. Parceque . Qu'on veuille saccager ça, provoque en moi une colère froide. Je reste imperturbable, je n'ai pas cillé, tandis qu'il égrenait les mots volés dans la bouche d'un autre, volés à une intimité qui m'est chère. J'ai ramené le verre que j'étais allé chercher. Et devant mon absence de réaction, c'est dans ses yeux que j'ai lu de la surprise. Il insiste :

- Deux sur sept millions et il y a des ordures qui voudraient les séparer, il faudrait les tuer ceux qui font ça.

-Assez d'accord .

Il tique.

-Au fait, tu veux que je paramètre ton réseau , tu as toujours des problèmes ?

-si ça t'embête pas...

-Je peux aller sur l'ordi dans ta chambre ?

Je me lève et vais fermer la porte, qu'il ait regardé à l'intérieur en passant me donne envie de vomir tout à coup.

-Non, tu le fais d'ici sur celui là.

(ben voyons, connard, je pense)

-Il faudrait vraiment que je regarde l'autre

-Qu'est ce que tu comprend pas dans « non » ?

Il n'insiste pas.

-Je le laisse véroler mon ordi, de toute façon il à les connaissances suffisantes pour le faire de n'importe ou, autant que je le regarde faire, histoire de savoir à peu près à quoi m'en tenir.

L'air de rien croit il, il amène la conversation sur ma « relation » avec @xil. Je fais l'éloge convaincante puisque sincère de ce génialissime kabyle « du bled » et termine par un lapidaire : « on va se marier ». Il manque s'étrangler .

Il ne peut cacher son dépit et même un peu de haine, et j'ai droit à un très instructif florilège du mépris dans lequel il tient les Algériens avec qui il bosse « parcequ'on a presque pas besoin de les payer » . Charmant, décidément. Le puzzle se met en place dans ma tête silencieusement, mais je le laisse s'enfoncer seul dans la flaque puante qui lui tient lieu de cervelle. Puis sans transition :

-je peux te faire écouter quelque chose ? je suis sure que ça va t’intéresser

-ouai

Il colle un CD dans le lecteur et me balance un mec qui se prend visiblement pour le gourou number one, pétri de suffisance dans des fringues qui se veulent ostensiblement le summum de la zen attitude, genre costard baba cool de lin crème coupé sur mesure. Jésus sponsorisé par Jean-Paul gauthier quoi …

J'écoute quand même, y'a de l'intéressant, saupoudré de louche, des incohérences qui se marient difficilement avec la sagesse prétendument désintéressée du discourt apparent. Ca pue la secte.

Cinq minutes après il est littéralement vautré sur le canapé, en reptation dans ma direction.

Je décide que je l'ai assez vu, lui et son gourou et le raccompagne poliment vers la sortie. Bonne nuit, merci pour tout, et en filigrane, si tu reviens pas, c'est pas grave. Quelque jours après, ce con revient...

au bout de cinq minutes, je le vire cette fois sans ménagement, je le recroiserait une seule fois bras dessus, bras dessous avec shadock2. Ce qui m'a beaucoup amusée, parce que s'il se base sur les renseignements de ce menteur compulsif, il est pas près de s’approcher de la vérité. Bien fait pour sa gueule.

 

Alors je suis restée quand même, je me suis assise dans le théâtre de la bassesse et de l’héroïsme ordinaire, et j'ai regardé.

 

J' ai dit à @xil :

  • J'ai fait du popcorn , t'en veux ?

  • Ouai, vas y envoie

  • Bière ?

  • Toujours dire oui quand il y a de la bière

Puis @xil est parti . C'était bien sur prévisible, mais il m'a quand même manqué terriblement.

 

Alors, s'est pointé christophe , un zig déguisé en faux jour, en soleil façon carton pâte, comme une extension de ce théatre qui serait descendu dans la rue pour me convaincre de l'adorer. Il avait quelques rayons tordus mais était tellement

convaincu de son rôle que je décidais de le laisser faire. J'ai même eu un doute au début, suffisamment pour me laisser aller à l'aimer. Et puis j'avais besoin d'action, d'une main pour m'emmener à demain, pour ne pas sombrer. Je ne sais pas mentir, mais ma défense à moi c'est de laisser les menteurs se demmerder avec leurs mensonges, jusqu'à ce qu'ils s'empêtrent dedans, ce qui finit immanquablement par arriver. Je pratique l'inertie de la sincérité comme personne. Par nature, mais aussi par fainéantise, pourquoi je me ferais chier à mentir ou à me chercher des excuses, à passer ma vie à me justifier, à m'excuser d'exister ? j'ai pas assez d'ambition pour ça. J'ai pas non plus l'option cirage de pompes, quand je dit je t'aime, c'est que je le pense. Ca a toujours l'air d'étonner tout le monde. Et moi j'ai toujours l'impression d'être là à bouffer mon popcorn devant une représentation grotesque, une caricature de la vie, qui n'en finit pas. Le faux jour s'est rapidement pété la gueule dans son amour en carton pâte, je l'ai regardé faire en ricanant. Je ne suis pas toujours charitable, c'est vrai... la lassitude sans doute.

 

A suivre ...

 

 

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